• Tour de France : L’estimation des watts: « C’est de l’enfumage »

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    Après la démonstration de Froome dans le Ventoux, les suspicions de dopage n’ont jamais été aussi fortes. Dans ce climat, la VO2max ou la puissance développée (en watts) sont brandis comme source de vérité. L’avis de Grégoire Millet, professeur en biomécanique à Lausanne.

    grégoire milletPeut-on déterminer par des mesures scientifiques, par l’estimation de la puissance développée ou le volume d’air consommé si Christopher Froome s’est dopé? Si oui, les experts suivant le Tour de France 2013 ne sont pas d’accord sur la technique utilisée. Pour l’ancien entraîneur de Festina, Antoine Vayer qui a mis en place une méthode indirecte pour estimer la puissance développée par un coureur dans une ascension, ses chiffres ne mentent pas et sont des indicateurs fiables du dopage d’un sportif.

    Grégoire Millet ne partage pas ce jugement. Pour ce professeur à l’Institut des sciences du sport de l'Université de Lausanne, l’estimation extérieure de la puissance produite par un coureur comporte trop d’inconnues.

    Qu’est-ce que la VO2max ?

    C’est la valeur maximale d’oxygène qui être transportée par le sang et consommée par les muscles. Elle sert à déterminer ensuite la puissance maximale aérobie (PMA) d’un coureur que l’on exprime en watts. En clair, c’est la puissance du « moteur » d’un coureur dans des conditions d’endurance. Cette VO2max, on ne peut la maintenir en cyclisme qu’entre 4 et 5 minutes, soit la durée d’un prologue. Sur un effort plus long, il faut prendre en compte la fraction d’effort ou le pourcentage de la PMA que l’on est capable de maintenir sur une durée de 30, 40 ou 50 minutes comme la montée du Ventoux, dimanche. Dès lors, même avec une VO2max plus faible, on peut développer plus de puissance qu’un concurrent qui a une VO2max plus élevé, si on a une plus grande endurance que lui et donc une capacité à soutenir un pourcentage plus élevé sur une plus longue période. A partir de là, on peut établir des liens entre la VO2max et le pourcentage soutenable. En cyclisme, on répertorie ces données dans un Profil Puissance Record (PPR), qui est une fiche permettant de déterminer le type de performances qu’est capable de réaliser un coureur.

    Que faut-il penser des calculs de puissances exprimées en watts ?

    Il faut bien distinguer la puissance mesurée, de la puissance estimée. La puissance mesurée s’obtient grâce au SRM, un capteur placé au niveau du pédalier qui permet d’obtenir la force employée par le coureur mais aussi la fréquence de pédalage. Bien calibré, le SRM n’admet que 2% de marge d’erreur.

    La puissance estimée utilisée par Antoine Vayer, notamment, prend en compte la masse de l’ensemble coureur-vélo, les résistances de roulement et le rendement du vélo (aérodynamisme). Avec cette technique, il existe une marge d’erreur comprise entre 6 et 14%. Cela correspond à un minimum de plus ou moins 25 watts sur coureur flashé à 400 watts. De fait, quand on annonce que la performance de Froome a été mesurée à 409 watts, c’est de l’enfumage. Il faudrait dire que ce chiffre correspond aux meilleures conditions soit quand il n’y a pas de vent, avec une performance linéaire sans accélération ou décélération du coureur … Avec un chiffre de 409, on devrait dire qu’elle est comprise entre 389 et 429 au minimum. Avec les conditions les plus défavorables, on dépasse les 10% de marge d’erreur. C’est considérable. Je pense qu’avec un nombre important de mesures, on peut arriver à monitorer les performances d’un groupe de coureurs mais aujourd’hui, estimer l’évolution individuelle des coureurs n’a pas de sens car la marge d’erreur est trop importante.

    Ces mesures ne sont donc pas fiables ?

    Non. Il y a d’autres éléments à prendre en compte. La masse du coureur peut varier lors d’une étape avec la déshydratation, l’épuisement… On peut aller jusqu’à une réduction de 3% par rapport au départ. Ensuite, il faut prendre en compte l’altitude et la capacité de chacun à y résister. Quand certains athlètes vont perdre 3% de leur PMA dans le Ventoux, d’autres vont perdre jusqu’à 10%. Si on ne connaît pas ces valeurs, les calculs sont faussés. Sans rentrer dans le jeu de « il est dopé, pas dopé », je veux dire que cette mesure comme tant d’autres comportent une marge d’erreur et que pour l’instant, on n’en prend jamais compte. Aujourd’hui, on nous assène des vérités à l’unité près alors que même avec la SRM on ne peut affirmer ça avec autant de précision. On fait des raccourcis. Les calculs effectués sont souvent basés sur des données moyennes théoriques sans faire état de la marge d’erreur. Le pire, c’est quand on nous parle de puissance estimée sur la base de la vitesse ascensionnelle sans connaître la masse du sujet au moment M, sans connaître sa résistance, son rendement, pour aboutir à une PMA et à une VO2max. Pour Froome, par exemple, vers Ax 3 Domaines, selon ce procédé, j’ai obtenu une VO2max comprise entre 75, ce qui est normal pour un athlète de haut niveau, et 120, niveau totalement surnaturel. Il y a trop d’inconnues pour donner du crédit à ces analyses.

    S’il y a tant d’incertitudes, pourquoi des hommes comme Antoine Vayer donne des chiffres et en tire des conclusions ?

    C’est de la pseudo science. Il ne s’agit pas de dire que telle méthode marche et pas telle autre mais d’expliquer qu’il existe une marge d’erreur. Ces chiffres sont là pour faire du bruit, rien de plus.

    Propos recueillis par Christopher Buet


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