• Federer et l'ocre éternelle

    Federer s'effondre de bonheur

    Brillant face à un Richard Gasquet impuissant, Roger Federer a offert la première Coupe Davis de son histoire à la Suisse et consolidé sa légende.

    Federer sanglote sur l'ocreEt si c’était elle sa surface ? Non pas sa surface de prédilection, ce tapis vert et gracieux où il se plaît à balader son aisance et sa classe, mais celle de sa gloire, cette terre qui d’ocre rougeoie et où chaque geste laisse une trace. Sacré, déifié sur le gazon verdoyant de Grande-Bretagne, Roger Federer s’est agenouillé pour l’éternité dans la poussière de la terre battue française. Il n’était pas encore 15 heures quand au cœur de l’enceinte de Pierre-Mauroy, le Bâlois déposait une dernière volée de revers amortie derrière le filet. Au fond du court, en face, Gasquet avait compris que tout était fini. La Coupe Davis et le précieux saladier d’argent venait de lui échapper à lui et à la France entière, chapardés par la Suisse et son enfant prodigue. Là, Federer s’abandonnait. Lui qui avait virevolté toute l’après-midi, posa les genoux à terre et tomba à la renverse sanglotant sur ce court teinté d’ocre, conscient qu’il venait de mettre un terme à sa mission et de magnifier plus encore « sa » légende. Une image émouvante troublant miroir nous renvoyant inévitablement 5 ans en arrière quand sous la pluie de juin, l’ancien n°1 mondial s’effondra à Roland-Garros, sa quête en Grand Chelem enfin achevée et Sampras égalé. Ce dimanche, l’accomplissement avait quelque chose de comparable, une saveur tout aussi particulière, un goût d’absolu mélangé à du soulagement. À 33 ans, Federer tenait, enfin, « SA » Coupe Davis, ce trophée qui manquait à son incomparable palmarès, celui qui prouvait que « sa Majesté » n’était pas qu’un monarque solitaire mais bien un souverain capable de conduire sa patrie au firmament.

    Le match parfait

    Rien ne pouvait perturber FedererEt quelle plus belle scène pour prouver sa grandeur que le  plus grand court du monde, posé dans l’écrin d’un stade de football, et ses quelques 27 000 personnes à majorité hostile. Sifflé à son entrée et à l’échauffement, l’artiste suisse s’est nourri de cette ambiance exceptionnelle avant de livrer une démonstration comme il en a le secret. Dès l’entame du match, tout le monde avait compris que rien ne pourrait détourner Federer de cette victoire aux accents de légende. Mobile comme à ses plus belles heures, incisif, entreprenant et d’une justesse folle, il étouffait un Richard Gasquet envoyé au front au secours d’un Tsonga meurtri. Le joueur raide et statique vu toute la semaine, s’était évanoui laissant la place à une étoile prête pour son récital. Non seulement, l’ancien n°1 mondial dansait sur le court, tournant avec virtuosité autour de son revers pour conquérir la diagonale, mais il s’appuyait également sur une qualité de service retrouvée. En total contrôle, il affichait 72 % de première balle sur l’ensemble de la rencontre et pas moins de 82 % de réussite derrière sa première. Avec une telle arme et une telle sécurité, le Suisse pouvait jouer parfaitement libéré et dérouler son tennis comme au cours de ce second set presque parfait où il ne commit que 3 minuscules fautes directes.

    Gasquet était impuissant« C’est la première fois qu’il joue aussi bien face à moi », se hasardait Gasquet avant d’être plus dissert « J'ai senti qu'il jouait très bien, très vite. Il faisait peu d'erreurs. Je n'ai pas eu de balles de break, j'ai eu du mal à l'embêter. On est tous déçus du résultat. J'aurais aimé apporté plus parce que la foule me supportait énormément. Tu n'as qu'une envie dans ces cas-là, c'est d'aller au 4e set, au 5e set, et faire plaisir au public. Non, il n'était pas imbattable. J'ai fait beaucoup de fautes en retour, parfois je le laisse un peu jouer. Ma qualité de balle doit être supérieure. Mais dès que tu as une qualité un peu moindre, il te fait mal. Tu sens qu'il a une énorme expérience, des matchs comme ça, il en a joué des dizaines. Il fait chaque fois le coup juste, il a une frappe de balle exceptionnelle ». « Le gars marchait sur l’eau. C’était d’une beauté… », s’éberluait un autre tricolore Arnaud Boetsch. Sans avoir concédé la moindre balle de break, Roger Federer, qui s’en est procuré pas moins de 16, mit un terme au supplice français abandonnant 8 maigres jeux.

    « Je voulais ce trophée pour l’équipe, Stan, Séverin »

    La détermination du bâloisComment pouvait-il en être autrement. Pour le symbole, Roger Federer se devait de marquer cet ultime point surtout après cette semaine tumultueuse qui l’aura vu surgir des profondeurs, s’élever contre son dos et l’adversité. « Lundi et mardi, je ne pensais pas jouer trois jours ici. On a envisagé toutes les possibilités pour le week-end, sachant que ce n’était pas non plus la fin de ma carrière. Je pouvais encore continuer l’année prochaine. Je voulais donner du temps à mon corps. Ce n’est que vendredi que j’ai pensé qu’il y avait une chance. Et jusqu’à aujourd’hui, je ne pensais pas jouer pendant trois jours », glissait le héros du jour qui n’oubliait pas les siens, ses partenaires qui lui avaient offert cette chance. « Je ne peux pas assez remercier Stan d'avoir fait tant d'efforts ce week-end. C'est la même chose pour Severin. Ils m'ont maintenu en vie, je dirais », tenait immédiatement à préciser le Bâlois.

    Alors que tout le monde se focalisait sur lui, l’intéressé s’effaçait derrière le collectif comme si ce moment n’était pas le sien. « Je suis soulagé, on voulait vraiment cette victoire, surtout en menant 2-1. C’est l’une des meilleures émotions de ma carrière. C’était formidable de vous entendre hurler dans mes oreilles. Je dispute la Coupe Davis depuis l’âge de quinze ans. Je voulais ce trophée pour l’équipe, Stan, Séverin (Lüthi, le capitaine). Et ce n’est pas la fin », se plaisait-il à déclamer.

    La Suisse célèbre son titreÀ l’heure de recevoir le tant désiré saladier d’argent, Federer se contentait d’entourer ses camarades, se refusant presque à toucher le précieux trophée. Une retenue qui en disait long sur la mission qu’il s’était fixée. « On est très, très heureux. On a passé de bons moments depuis cette balle de match à Londres avec Stan (Rires). C'est l'une des plus belles semaines qu'on ait vécue en tant qu'équipe. On se connait tous très bien, ça fait plus de 10 ans qu'on joue ensemble pour certains. C'est clairement l'un des plus beaux moments de ma carrière. Je suis incroyablement heureux (…) C’est un jour exceptionnel pour notre pays. On est un petit pays qui n’a pas gagné de grand titre dans son histoire. C’est un grand jour. J’espère que ça pourra inspirer d’autres sportifs en Suisse », savourait-il délicieusement.

    Après tant de tourments sur cette terre battue capricieuse, Roger Federer pouvait enfin goûter la félicité. Celle qui l’avait fait l’égal de Sampras et même un peu plus en 2009, venait de lui offrir la plus belle des récompenses, le dernier grand titre manquant à son inestimable palmarès, un cadeau collectif légitimant son statut officieux de plus grand joueur de tous les temps, que certains se plaisaient à contredire par son absence nationale.

    À 33 ans, Roger Federer n’a à présent plus rien à prouver et à conquérir, excepté l’or olympique en simple. En France, « sa Majesté » a trouvé la terre de ses exploits, une ocre éternelle à même de marquer pour toujours son empreinte sur le jeu.

    La Suisse et son saladier d'argent

    Christopher Buet


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