• Tina Maze, la trempe d’une géante

    Du haut de ses 33 ans, Tina Maze a fait ses adieux au monde du ski, chez elle à Maribor, là où tout avait commencé 18 ans plus tôt. Skieuse complète au caractère bien trempé, la Slovène laissera une trace indélébile dans l’histoire de son sport.

    Tina Maze triomphe à Beaver Creek

    Tina Maze, la trempe d’une géanteSoudain, le cœur ardent de chacun des spectateurs qui s’étaient massés dans l’aire d’arrivée de cette étape de Maribor s’est mis à battre plus fort. Dans le portillon de départ, le dossard 34 était apparu, celui de Tina Maze, le dernier de sa carrière. Personne, ici en Slovénie, n’aurait manqué ce rendez-vous, celui prit par la plus illustre de leur compatriote, le jour même où elle avait annoncé la fin de son incomparable carrière. Ce 20 octobre 2015, la jolie brune de Slovenj Gradec avait mis fin au suspense entourant son avenir. La flamme s’était éteinte en son cœur et le temps était venu de ranger les skis pour s’adonner à une nouvelle vie. « Je n’ai plus de motivation, je n’ai plus l’énergie », s’était-elle justifiée. Toutefois, la tempétueuse skieuse ne pouvait se résoudre à s’éclipser ainsi. Dire au revoir, oui, mais comme il se doit. Sur les skis, chez elle, devant son public et sa famille, là où tout avait commencé.

    Tina Maze, la trempe d’une géante« Aujourd'hui, je voulais dire au revoir à tout le monde à Maribor. Andrea (Massi, son compagnon, ndlr) voulait que je skie normalement jusqu'en bas, mais j'étais trop émue pour le faire », confiait la championne. Partie sur un rythme intéressant, Tina Maze s’arrêtait après 45 secondes de course et s’en allait enlacer son entraîneur et compagnon ainsi que le reste de son équipe. Une douce étreinte avant de reprendre la piste et découper les derniers lacets jusqu’à la ligne d’arrivée. Dans une évocation de l’immense skieuse qu’elle fut. Là, elle s’arrêtait de nouveau, déchaussait, s’emparait de ses skis et saluait une foule en pamoison. « C'est un très grand jour pour moi, pour nous tous, on a eu une grande histoire », a-t-elle déclaré au moment de quitter définitivement la scène du grand cirque blanc.

    Surdouée inconstante

    Une grande histoire dont les premières esquisses avaient été dessinées sur cette même piste, voilà 18 ans. Ce 2 janvier 1999, Tina Maze a 15 ans lorsqu’elle présente sa jeune frimousse au monde dans l’anonymat du géant. L’adolescente ne finira pas la première manche et devra se contenter le lendemain d’une 32e place dans l’épais brouillard d’un Super G remportée par l’Allemande Hilde Gerg. De quoi motivée cette surdouée qui deux mois plus tôt pour ses débuts internationaux en géant à Val Thorens avaient réalisé l’exploit de se classer deuxième de la première course avec le dossard 121 (!) avant de remporter la seconde organisée le lendemain, affublée du 125.

    Tina Maze, la trempe d’une géanteMalgré d’évidentes qualités, la jeune fille va devoir attendre avant de s’inviter durablement dans la cour des grandes. Rapidement parmi les meilleures sur le circuit de Coupe d’Europe, elle peine à trouver la constance au niveau supérieur et doit attendre trois ans pour enfin connaître les joies du podium en Coupe du Monde. Ce sera chez elle à Maribor, en janvier 2002, en géant avec une seconde place derrière la Suissesse Sonja Nef. Un coup de semonce. Neuf mois plus tard, la perle slovène trace sa première victoire dans le Géant de Solden. Un succès un peu particulier puisque partager avec la Norvégienne Andrine Flemmen et l’Autrichienne Nicole Hosp, chronométrées dans le même temps malgré la tempête et des manches raccourcies. Un message envoyé à la concurrence pour celle qui vient de changer de préparateur physique en la personne d’Andrea Massi. Un technicien italien atypique qui va changer le destin d’une skieuse de flammes.

    Maze : « J’ai une personnalité particulière »

    Tina Maze, la trempe d’une géanteCar Tina Maze a l’orgueil qui sied à son ski puissant et élégant. « C’est une tigresse », glisse l’ancienne skieuse Carole Montillet dans L’Equipe en 2014. « Il n’y a rien d’amical avec elle. Elle peut faire la gueule pour un point perdu. Ensuite, elle ne nous calcule plus », abonde une autre tricolore Anne-Sophie Barthet. Maze se construit dans l’adversité, celle qui forge les destins les plus illustres, et ne s’embarrasse pas en faux-semblant. À l’opposé de l’impeccable Lindsey Vonn, la Slovène râle et peste. « Elle peut envoyer bouler n’importe qui si elle n’est pas contente d’un entraînement ou de la préparation de ses skis. Même avant une course, elle peut se mettre dans une colère noire et gagner après », confirme l’entraîneur des techniciennes françaises Anthony Séchaud, avant d’ajouter. « La Maze que le public voit est la même que celle qui travaille tous les jours. Elle ne fait pas semblant. »

    Tina Maze, la trempe d’une géanteLa trentenaire ne s’en cache pas. « J’ai une personnalité particulière. Ce n’est pas facile de travailler avec moi, mais c’est un mal nécessaire. Pour être au top, il faut un gros caractère. Je pense que c’est ma personnalité qui m’a hissé à ce niveau et je ne crois pas avoir tort », convient celle qui en 2012 révèle son soutien-gorge sur le podium où est écrit « Not your business » en réponse aux soupçons de la Fédération Internationale qui la soupçonne de porter des sous-vêtements en caoutchouc (matière interdite).

    Un caractère fort qui lui joue toutefois des tours. Si elle s’invite plus souvent parmi les toutes meilleures, elle reste en retrait de ses ambitions. Quelque chose lui manque pour tutoyer les sommets où brillent Vonn, Kostelic et les autres. La solution, c’est Andrea Massi qui va la lui fournir. Pour voir plus grand et réaliser ses rêves, Maze doit s’émanciper, rompre avec le « confort » fédéral où elle se frustre et se débat en vain.

    Tina Maze, la trempe d’une géanteLe courroux slovène

    C’est ainsi qu’en 2008 quelque mois après son premier succès en descente à Saint-Moritz malgré le dossard 47, qu’elle fonde la « Team to AMaze », littéralement l’équipe qui émerveille. Massi, avec qui elle partage maintenant sa vie, prend la direction des opérations et entourent « sa » championne d’une équipe totalement dédiée, composée d’entraîneur, techniciens et autres psychologues. « J’avais un plan sur cinq ans mais il fallait rompre avec les méthodes traditionnelles. La Fédé n’avait rien compris », tranche l’Italien qui entreprend de faire évoluer la mentalité de Maze. « Tina vient d’un petit pays et elle faisait un complexe d’infériorité par rapport aux autres équipes. Je me suis beaucoup battu sur ce point. » Un travail fastidieux mais salvateur.

    Tina Maze, la trempe d’une géanteDès 2009, la native de  Slovenj Gradec se hisse sur son premier podium mondial à Val D’Isère (2e du Géant). Dans la foulée, aux Jeux Olympiques de Vancouver, elle se pare d’argent par deux fois. Ces récompenses sont pourtant loin de l’enchanter. Maze n’a que faire des honneurs de second rang. Elle ne jure que par la gloire qu’octroie la victoire. Aussi, le courroux slovène va se déchaîner. Déçue de la tournure des évènements, elle renvoie son entraîneur. Le suivant l’amènera au titre mondial à Garmisch-Parternkirchen, dans ce géant qu’elle affectionne tant, le premier de l’histoire pour un skieur slovène. Insuffisant pour cette obstinée. « Je ne peux pas perdre d’énergie avec les personnes qui ne peuvent pas s’adapter. C’est dur de trouver de vrais pros dans le ski qui connaissent très bien leur travail », expose-t-elle. « Avec Massi, Tina fonctionne dans la tension perpétuelle. Il arrive à la mettre dans des états pas possibles, à chercher l’étincelle en elle », soutient Séchaud. « Je ne suis pas facile à vivre, mais si je veux être la meilleure, je dois être entourée de gens qui donnent le meilleur », reprend la Slovène.

    « Je me sens bénie »

    Tina Maze, la trempe d’une géanteVint alors l’hiver 2012-2013. À 29 ans, Tina Maze s’apprête à réaliser la saison la plus fantastique de l’histoire du ski mondial. À maturité physique et en pleine confiance, elle se déchaîne et écœure la concurrence. Celle qui joue souvent au scrabble avant les courses pour se détendre enchaîne les performances. En 35 courses disputées, hors championnats du monde, elle compile 11 victoires, autant que depuis le début de sa carrière, 23 podiums, et ne termine hors du Top 5 qu’à 4 reprises. « C’est une artiste », jure Andrea Massi, émerveillé par la polyvalence de sa protégée qui en s’imposant en Super G à Sankt Anton s’est inscrite dans la légende aux côtés de l’Autrichienne Petra Kronberger, des Suédoises Pernilla Wiberg, de l’Croate Janica Kostelic et de l’Américaine Lindsey Vonn, seules filles avec elle à avoir triomphé dans les cinq disciplines de la Coupe du Monde.

    Tina Maze, la trempe d’une géantePlus fort encore, avec sa régularité phénoménale, Tina Maze couronne sa saison de cristal. En plus de remporter le classement général et le Gros Globe avec le record (hommes et femmes confondus) invraisemblable de 2 414 points (aucune femme n’a jamais dépassé 2 000 points, ndlr), elle soulève les petits globes du géant, du super G et du combiné. « Physiquement et mentalement, passer de la descente au géant c’est difficile, il faut être très fort », admire Kjus, le Norvégien aux 16 médailles dans des JO et Mondiaux, dont deux en or et trois en argent lors des Championnats du monde 1999. « Je me sens bénie. Le gros globe, c’est l’objectif de toute une vie, alors, en faire une réalité, ça me rend plus qu’heureuse », savoure Maze qui y voit la récompense de cinq ans de travail. Ça ne vient pas en une nuit. La saison passée, j’étais tellement déçue de finir deuxième (derrière Vonn, ndlr) sans avoir gagné une course que c’a peut être été le saut décisif », souffle-t-elle en 2013.

    Tina Maze, la trempe d’une géante

    Le goût de l’Olympe

    Tina Maze, la trempe d’une géanteIl est aisé de penser qu’après une telle saison, Tina Maze ait trouvé la paix. C’est mal connaître les tourments qui rongent son esprit et son cœur. Tina Maze est une championne chaotique, une héroïne abîmée. Dans la toile de maître qu’elle vient de peindre en 2013, une tâche s’est glissée. Alors que rien ne lui résistait, elle perd son titre mondial en Géant (2e derrière Tessa Worley, ndlr) et ne rapporte qu’un titre (super G) des Mondiaux de Schladming. « Je sais ce que je vaux », dit-elle pleine d’amertume. Livio Magnoni en fera les frais et est remerciée après deux ans de bons et loyaux services.

    L’équilibre slovène se brise. Si rayonnante et implacable en début d’année, Maze n’est plus Tina Maze, la trempe d’une géanteque l’ombre d’elle-même alors que s’annonce les Jeux Olympiques de Sochi. Le temps presse et la Slovène, qui ne compte qu’un succès à moins de deux mois du rendez-vous russe, entreprend une révolution. Adieu Walter Ronconi, place à Mauro Pini. « Quand je suis arrivé, il y avait beaucoup de négativité dans le groupe. J’ai cherché à éliminer cette tension », se remémore le technicien italien. « Tina est une fille toujours capable de rebondir. Elle peut pleurer, être au fond du trou à l’entraînement et gagner le lendemain », assure la Française Anémone Marmottan. Le changement est salutaire et le réveil brutal.

    Tina Maze, la trempe d’une géanteSi fragile dans les grands moments, Tina Maze fait fi de la pression et des attentes. La skieuse apeurée et perdue est redevenue la carnassière de l’hiver précédent. Un monstre de concentration et de précision. Au bout d’une descente maîtrisée, elle arrache la médaille d’or, à égalité avec la surprise suisse Dominique Gisin (la huitième égalité de l’histoire des JO, la première en ski alpin, ndlr). « C’était l’objectif de la saison. Cette égalité est incroyable. Parfois, l’épaisseur d’un doigt change la couleur de la médaille. Pas cette fois », jubile Maze qui en l’absence de sa rivale Vonn, s’offre sa première médaille d’or olympique à Sochi, la première de l’histoire de son pays aux JO d’hiver. « Tina est l’une des plus grande de notre sport, c’est un bonheur de partager l’or avec elle », apprécie Gisin après la course.

    Tina Maze, la trempe d’une géante

    Tina Maze, la trempe d’une géanteLa prodige ne s’arrête pas là et après être passé tout près de la mise en Super G (5e), triomphe, seule cette fois, sur « son » Géant. Pour 7 minuscules centièmes de secondes devant Anna Fenninger. La marge qui sépare l’histoire de la légende. À 30 ans, Tina Maze a atteint son olympe, ce pourquoi elle s’est toujours battue. L’astre slovène entame son crépuscule, le temps d’une dernière saison grandiose conclue sur un duel épique avec l’esthète autrichienne Fenninger aux Mondiaux de Beaver Creek. Sur la descente, Maze repousse sa cadette à deux centièmes avant de céder pour 3 centièmes en Super G. L’une et l’autre s’adjugeront deux titres. Un passage de témoin.

    Tina Maze, la trempe d’une géanteEpuisée, Tina Maze annonce vouloir faire une pause avant d’envisager un retour. Il n’en sera rien. La motivation s’en est allée. « Souriant à travers mes larmes, ma volonté est une arme contre mes peurs, je veux devenir une légende que l’on racontera à travers les âges, afin d’inspirer le monde. Mon chemin est mon choix, mon pouvoir est ma vision », chante-t-elle dans le titre « My Way is my decision » qu’elle dévoila en octobre 2012. A force de volonté, de sacrifices, d’excès et d’exploits, Tina Maze est plus que cette fille talentueuse et capricieuse. Elle est une skieuse obstinée, une championne tempétueuse qui a su réussir ses adieux devant les siens. En géante dont elle a la trempe.

    Christopher Buet


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