• Shiffrin, en son royaume

    Au bout d’une deuxième manche exceptionnelle, Mikaela Shiffrin a écrit une nouvelle page de sa légende en décrochant sa troisième couronne mondiale consécutive en slalom. Un triplé que seul Christl Cranz avait réussi entre 1937 et 1939. Etourdissant.

    Shiffrin, en son royaume

    Shiffrin, en son royaumePendant un instant, tout a semblé se suspendre autour de Mikaela Shiffrin. Dans une fureur invraisemblable, l’Américaine venait de fracasser la ligne d’arrivée avec une autorité rare et se retournait pour connaître le verdict du chronomètre. Pendant un instant, on lut l’étonnement, une certaine incrédulité sur le visage juvénile de la skieuse de Vail, comme si elle cherchait à déchiffrer ce qu’elle lisait sur le tableau d’affichage. La sentence est pourtant aussi limpide et cristalline que le temps radieux sur St-Moritz en cette matinée de samedi. Mikaela Shiffrin n’a pas simplement gagné la course, elle l’a atomisée et repoussé sa première dauphine à 1 seconde et 64 centièmes. Un gouffre, un monde même qu’elle n’avait plus mis entre elles et ses rivales depuis plus d’un an et le slalom des finales de la Coupe du Monde, ici-même au printemps dernier. « Je n’ai pas vu mon temps tout de suite. Je savais que j’avais fait une bonne manche mais pas à ce point », s’étonnait-elle

     « Une journée incroyable »

    Shiffrin, en son royaumePassée la stupéfaction, Mikaela Shiffrin entra en transe. Toujours juchée sur ses spatules, l’Américaine se mit à haranguer les 40 000 spectateurs massés dans l’aire d’arrivée, les relançant une, deux, trois fois avec de grands moulinets des bras. Plus que l’écart, Mikaela Shiffrin saisissait l’instant unique qu’elle vivait et entendait en profiter au maximum. En effet, à 21 ans, elle venait de conquérir son troisième titre mondial en slalom, le troisième consécutif, prolongeant ainsi son anormale invincibilité en grands championnats (elle a tout gagné en slalom depuis 2013, ndlr). Mieux, elle s’inscrivait plus encore dans la l’histoire du ski alpin en rejoignant l’Allemande Christl Cranz, unique fille à avoir réussi pareil triplé en slalom dans les années 1930 (1937, 1938 et 1939). « C’est une journée incroyable. Magnifique. J’ai vraiment skié comme je le voulais dans cette 2e manche et j’en suis très fière », commentait-elle dans un sourire.

    La bonne idée

    Shiffrin, en son royaumeIl faut bien avouer que tout s’est parfaitement passé pour celle qui a fait de ces rendez-vous en haute altitude où l’air se fait plus rare et les jambes plus flageolantes, sa spécialité. A 21 ans, Shiffrin est une métronome irrésistible au mental et à l’ambition acérés. Meilleure slalomeuse de la saison, elle s’octroyait le privilège d’ouvrir la voie et de s’élancer en première dans cette course. Pas une lubie de diva mais un vrai choix stratégique, elle qui avait bien vu, jeudi lors du Géant avec Tessa Worley, combien partir devant pouvait s’avérer déterminant. C’est donc en première qu’elle partait avec pour seule facétie ces deux nattes blondes qui pendaient de chaque côté de son casque, remplaçant sa traditionnelle tresse. Car sur les skis, la chorégraphie était parfaite comme à l’accoutumée. Très vive dans sa mise en action, elle réussissait un enchaînement parfait pour plonger dans le mur. Tout en anticipation, elle taillait court les courbes et finissait sur le bon tempo. On ne le savait pas encore mais les autres filles ne la reverraient jamais. Dans le même rythme que l’Américaine sur le haut, Veronika Velez-Zuzulova craquait sur la fin pour échouer à 59 centièmes, un peu moins bien que Wendy Holdener, survoltée en bas devant son public mais qui concédait 38 centièmes. Derrière l’autre slovaque Petra Vhlova (+0’’76) et la suédoise Frida Hansdotter (+0’’77) étaient à bonne distance.

    Shiffrin, en son royaumeComme dans un rêve

    « Plus je gagne en slalom, moins je ressens la pression. J’ai déjà réalisé plus que je ne l’aurais jamais imaginé. A présent, j’essaye de voir ce dont je suis capable et tout ce qui arrivera est du bonus. Si je suis nerveuse maintenant, c’est parce que je crains que tout cela ne soit qu’un rêve et que je vais me réveiller et réaliser que je ne suis pas aussi rapide que je le pensais. C’est pour cela que je veux skier toujours plus fort pour me convaincre que tout cela est bien réel », nous confiait-elle en début de saison. Et ce n’est pas sa deuxième manche, tracée sur-mesure par son entraîneur, qui la démentira. Sous le rayonnant soleil suisse dont elle s’était protégée avec un parapluie en attendant son tour, Mikaela Shiffrin a endossé sa plus belle combinaison et retrouvé ses skis de lumière. Ceux qui la faisait danser sur cette sarabande infernale dont elle seule peut soutenir la mesure. Très concentrée au départ, elle faisait fi des hurlements en contrebas qui saluaient la belle manche de Wendy Holdener assurée de finir au pire en argent, et s’abandonnait à la pente.

    S’engageant  à fond, elle boxait chaque porte jusqu’au mur. Au-delà de la précision diabolique de ses pieds à chaque changement de direction, Shiffrin semblait animer par une férocité toute animale. Loin de se contenter d’avaler le mur en collant 4 dixièmes à Holdener, elle relançait inlassablement, mue par ce désir de profiter de ses sensations retrouvées et de marquer encore un peu plus les esprits. Le panache des géants qui ne se satisfont pas d’une victoire prosaïque. Assurément, Mikaela Shiffrin appartient à cette caste d’éternels, qui toisent le commun des mortels dans l’écho de l’Histoire.

    Shiffrin, en son royaumeSur la ligne d’arrivée, sa marge de 38 centièmes avait triplé (1’’64) comme pour bien rappeler que le slalom n’appartient à personne d’autre. « C’est mon bébé. Je m’y sens si bien depuis des années, j’y ai de telles sensations que je ne peux m’imaginer skier sans slalom », nous disait-elle à l’automne dernier avant d’enchaîner cet hiver avec 5 victoires en 7 courses dans la discipline. « Elle a fait une 2e manche incroyable et j’ai fait des erreurs », résumait Holdener, heureuse de finir ses Mondiaux à la maison avec cette médaille d’argent après l’or du combiné. Une fierté partagée par la suédoise Frida Hansdotter, vice-championne du monde en 2015, qui profitait des mésaventures de Velez-Zuzulova pour se hisser sur la 3e marche du podium, comme en 2013.

    Shiffrin, en son royaumeDe son côté, Mikaela Shiffrin pouvait savourer d’entretenir ce « cercle vicieux », comme elle le qualifiait sur CNN, de victoires en slalom et entretenir sa légende plus que naissante. A 21 ans, Mikaela Shiffrin est une reine douce et souriante, au visage d’ange, mais qui n’aime pas partager. Une impératrice des piquets qui devrait bientôt élargir son cercle d’influence. En tête du classement général de la Coupe du Monde, grâce à ses performances en slalom mais aussi en Géant (2e de la spécialité derrière Worley, ndlr), elle devrait s’adjuger son premier Gros globe de Cristal, du fait de la grave blessure de la lauréate sortante et principale rivale Lara Gut. Championne olympique, triple championne du monde, rien ne semble impossible à la native de Vail qui n’en est qu’au début de son règne.

    Shiffrin, en son royaume

    Christopher Buet


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