• La Tsarine en son empire

    Isinbaeva vient de franchir 4,89 m

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    Six ans après son dernier sacre mondial, cinq années après son dernier triomphe olympique, Elena Isinbaeva a récupéré sa couronne mondiale, dans son fief de Moscou. A 31 ans, la Tsarine trône à nouveau au sommet de la perche planétaire.

    Elena (1)L'y voilà. Là où elle a toujours rêvé d'être. Seule au bout de cette piste aussi bleue que ses yeux, comme le prolongement de ce regard d'acier, imperturbable, braqué sur cette barre qui la défie au loin dans le ciel de Moscou, à 4,89 m du sol. De là où elle est, il ne s'agit que d'une sombre et minuscule ligne à l'horizon. A ses yeux, il s'agit de bien plus, d'un lien vers son glorieux passé, d'une porte vers la légende.

    Plus qu'un saut

    Sans déroger à ses habitudes, immuables depuis qu'elle a débuté le saut à la perche voilà maintenant 16 ans, Elena Isinbaeva fait le vide, s'enferme dans sa concentration. Alors qu'elle murmure à sa perche dans un élan mystique, le stade Loujniki s'arrête, se tourne vers le sautoir où sa fille, sa championne, sa Tsarine se tient immobile.

    Finissant son rituel, elle inspire une grande fois et démarre. La course est fluide et déterminée, mélange de confiance et d'excitation. A l'approche du sautoir, elle abaisse sa perche et la fiche dans le butoir. La torsion est bonne et les pieds de la Russe quitte le sol. Elle s'élève alors dans les airs et chaque spectateur présent suspend sa respiration à cette envolée. Dans une dernière poussée, elle se propulse dans le ciel moscovite, détachant ses mains de sa précieuse perche. Les pieds en avant, elle enroule la barre. Son corps cambré semble en lévitation au-dessus de la barre, le temps de ramener ses mains et de basculer.Isinbaeva exulte

    Le public russe comprend alors que la sienne a franchi l'obstacle pour prendre seule la tête de cette finale. Dans un souffle, une gigantesque clameur s'échappe. Loujniki rugit comme il ne l'avait encore jamais fait. « En venant ici au stade Luzhniki, je savais que la foule serait derrière et que ça m'aiderait. La foule, ce soir, est la meilleure que je n'ai jamais vue. C'est ma maison (…) J'ai reçu toute cette énergie, toutes ces émotions et je les absorbées », s’est-elle enthousiasmée après coup. Pour la première fois depuis 1 an, Elena Isinbaeva renoue avec une telle altitude.

    Consciente de la performance qu'elle vient d'accomplir, la double championne olympique exulte, crie à s'arracher les poumons, lève les bras tout en serrant les poings en direction de son clan et de son entraîneur Evgueny Trofimov, l'homme derrière toutes ses conquêtes. « Il m’a fait croire en moi. Il m’a répété de continuer, de ne pas abandonner que tout finirait par aller mieux. S’il n’avait pas été là, rien de tout cela ne se serait produit », a remercié la Russe. Première à s'élancer à cette hauteur, Isinbaeva assomme le concours féminin avec cette barre franchie au premier essai, mettant une formidable pression sur les épaules de ses adversaires.

    Surh et Silva craquent

    Jennifer Surh échoue à la 2e placeAuteure d'un concours presque parfait jusqu'à présent, Jennifer Suhr est la suivante à se présenter devant cette barre de 4,89 m. La championne olympique américaine a déjà abattu une difficulté similaire. Avec Isinbaeva, elle est la seule à avoir apprivoisé les 5 m. Aucun doute possible, elle va rejoindre son adversaire. Mais un concours mondial n'a rien d'ordinaire. Solide depuis le début de la soirée, elle manque son approche et son essai. Son second du jour qui la replace a hauteur de la recordwoman du monde qui a buté plus tôt à 5,65 m et 5,82 m. La pression est d'autant plus prégnante que le podium est assuré et que seul l'ordre des places restent a établir.

    Dans la foulée de l'Américaine, c'est la Cubaine Silva qui se présente. Rescapée, presque miraculée à 5,82 m où elle du attendre son troisième et dernière essai pour obtenir le droit de poursuivre sa finale, soufflant au passage le podium à l’Allemande Silke Spiegelburg, abonnée à cette maudite 4e place comme à Londres l’an passé ou à Berlin en 2009. Forte de son statut, la vice-championne olympique espère profiter de l'accroc américain pour s'emparer de la deuxième place et titiller la Tsarine. Mais les difficultés aperçues précédemment n'ont pas disparu 7 centimètres plus haut. Au contraire. Trop brouillonne, la Cubaine échoue également. Les deux jeunes femmes doivent en passer par un deuxième essai en forme d'unique chance pour continuer à rivaliser pour le titre mondial.

    Chacune à leur tour, Surh et Silva se heurtent a l'obstacle. Un frisson parcourt les travées garnies du stade Loujniki. L'idée duIsinbaeva en transe après son saut à 4,89 m sacre de la native de Volgograd affleure. Dans son concours, Isinbaeva n'a cure du tumulte qui agite l'assistance. Il lui faut conserver sa concentration, ne pas se disperser. Car une discipline comme la perche peut s'avérer surprenante. Meilleure performeuse de la saison, Suhr voit la barre emportée avec elle ses rêves de doublé. Pas à son meilleur niveau, elle doit se contenter de la médaille d'argent car peu après Silva voit sa finale s'achever sur un troisième et dernier échec, lui offrant, tout de même, le bronze.

    « Aujourd’hui, je volais »

    Acquis à la cause de la sienne, le peuple moscovite explose. Symbole de la tension extrême qui la tenaillait, Elena Isinbaeva laisse éclater sa joie.  Si tôt, ses adversaires vaincues, elle se lança dans une course frénétique vers son clan. « Aujourd’hui, je volais. Pour la première fois depuis longtemps, j’ai eu l’impression de voler, pas de sauter. C’était un sentiment incroyable », explique celle qui vient de remporter son troisième titre mondial. Très vite, l’émotion la submerge. Ses yeux si froids, si bleus, rougeoient noyés dans les larmes. Cinq ans après Pékin, Isinbaeva renoue avec l’ivresse des sommets. « Je suis tellement, tellement heureuse d’être championne du monde, encore. La couronne est, de nouveau, mienne. Je suis une reine », s’amuse-t-elle quelques heures après.

    La reine de tout un peuple. Assurée de l’or, elle offrit de poursuivre le spectacle. En offrande aux siens, elle demanda 5,07 m, soit un centimètre de plus que son record du monde. Elle ne franchira pas la barre. Qu’importe, l’essentiel est ailleurs. Empoignant le drapeau national, Isinbaeva communie avec son public. Ce que certains avaient pris pour la chute d’une étoile à Berlin, n’aura été qu’une éclipse. A Moscou, les nuages ont passé et l’étoile Isinbaeva a regagné le ciel pour briller plus fort que jamais. Elena est redevenue Tsarine et son règne est éternel.

    Isinbaeva savoure sa victoire

    Christopher Buet


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