• La reine Shiffrin danse entre les piquets

    Shiffrin conserve son titre mondial

    Avec une maîtrise exceptionnelle, Mikaela Shiffrin a survolé le slalom. Devant son public et sur sa piste de Beaver Creek, l’Américaine de 19 ans s’est parée d’or pour la deuxième fois consécutive aux Championnats du Monde après son sacre à Schladming en 2013. Elle devance la suédoise Hansdotter et et la Tchèque Strachova.

    Le calme au cœur de la fureur. Sous le beau soleil du Colorado, les meilleures slalomeuses du monde s’étaient réunies pour une formidable bataille. Les filles se succédaient, donnant toutes leurs cœurs et leurs corps pour aller le plus vite possible avec l’espoir de franchir la ligne en bas du tracé en tête. À quelques mètres de là, allongée à l’ombre, Mikaela Shiffrin semblait imperméable aux événements. Leader après une première manche de grande qualité, l’Américaine apparaissait comme endormie, seule dans son monde, en communion avec « SA » neige. « Je suis à moitié un ours. Il faisait si chaud aujourd'hui ! Quand il fait trop chaud ou trop froid, ça affecte mon énergie. J'essayais juste de la préserver pour la deuxième manche. Je fais une sieste tous les jours et là, on avait tellement de temps entre les deux manches. C'était si confortable », s’amusait à l’arrivée une Shiffrin radieuse après avoir conquis sa deuxième couronne mondiale consécutive. Car, elle en vint à se relever pour aller rejoindre la cabane de départ où demeuraient ses ultimes adversaires. Les plus redoutables : la tchèque Sarka Strachova et la suédoise Frida Hansdotter. L’une après l’autre, ces dernières s’élançaient. Il ne restait donc plus qu’elle.

    Shiffrin à la lutte avec HansdotterDu haut de ses 19 ans, Shiffrin se tenait, là, face cette pente qu’elle a usée durant sa plus tendre enfance. Là, face à son public, face aux siens, face à son pays. Là, où elle avait certainement rêvée de se retrouver, à la maison en tête du slalom mondial. Hansdotter en bas, un grondement retentit. L’aire d’arrivée, où s’était massée toute la famille du ski américain, tout le Colorado même, tonnait à en faire trembler la montagne. L’heure était venue pour la fille chérie de Vail d’entrer dans la danse.

    « Un peu sur la défensive au sommet »

    Une danse rendue périlleuse car sa rivale suédoise avait virevolté tout en rythme entre les portes jalonnant cette 2ème manche beaucoup moins cassante que celle de la matinée pour devancer allégrement Sarka Strachova. Restait à pousser fort sur les bâtons dans le portique et se balancer dans la dernière pente de ces Mondiaux. Alors qu’un bourdonnement grimpait et trouvait écho tout là-haut, Shiffrin se mit en action. Le départ était bon mais très vite on comprit que quelque chose n’allait pas. L’Américaine était fluide mais raide et surtout en manque total de rythme. La machine était au ralenti, comme Tina Maze quelques minutes auparavant. « J’étais un peu sur la défensive au sommet », expliquait-elle sans se voiler la face. Le verdict chronométrique venait dès lors confirmer l’impression visuelle. Partie avec 40 centièmes d’avance, la championne olympique de la spécialité pointait en retard au premier intermédiaire (+0’’04). Pas de quoi paniquer mais de quoi glacer le sang d’un public incandescent. Le duel tant attendu entre les deux filles les plus impressionnantes de l’hiver en slalom avait bien lieu et tournait en faveur de la Suédoise qui ne voyait son adversaire lui reprendre qu’un malheureux centième sur le plat (+0’’03).

    Shiffrin avait tout prévu

    Shiffrin accélère dans le finalEn retard, Mikaela Shiffrin allait devoir sérieusement accélérer pour s’éviter une drôle de déconvenue à elle et au ski américain féminin arrivé plein d’espoirs et pour l’instant groggy par l’échec de Lindsey Vonn en vitesse. Cette position était pourtant loin de lui déplaire. « Je n’aime pas me sentir ‘’chassée’’. Je préfère être l’outsider qui débarque et surprend tout le monde », racontait-elle, le matin même dans L’Equipe. Il lui fallait donc chasser la Suédoise, chasser ces précieux centièmes et surprendre un public qui commençait à se tétaniser. Une chasse qu’elle avait parfaitement mise en scène lors de la reconnaissance du parcours. « À l’inspection, j’avais repéré un point sur le parcours et je voulais y aller à fond à partir de ce point précis. J’étais un peu nerveuse, j’étais en train de perdre la course mais quand je me suis retrouvée à cet endroit en course, je me suis concentrée sur mon ski », dévoilait-elle.

    Profitant du plat en transition, la nouvelle étoile du ski américain se mit à emmagasiner de la vitesse et déboula comme une balle à l’entrée du dernier dévers. La suite se confinait au sublime. Dans un vacarme assourdissant, Shiffrin avala la pente avec une justesse somptueuse. Elle ne skiait plus, elle dansait littéralement entre les piquets, enroulant ses jambes et son corps dans chaque courbe, taillant au plus serré sa trajectoire avant de venir jeter ses courtes spatules sur la ligne. Le rouge des deux intermédiaires venait de virer au vert. En quelques portes, la fille de Vail avait déposé ses concurrentes et collé pas moins de 37 centièmes dans la visière de Hansdotter. La foule explosait, faisant résonner sa joie dans tout le Colorado.

    La joie contenue de ShiffrinSur la neige, leur héroïne restait de glace. Aucun cri, aucun geste particulier, juste un léger sourire, comme un soulagement. « Je pense que ça devait être flippant ! J'avais mis toute mon énergie à être sûre que chaque courbe  était bonne et je suis arrivée avec la victoire mais plus aucune énergie pour la fêter. Je ne savais plus quoi faire. Ça devait sembler bizarre parce que les meilleurs skieurs de l'histoire ont les célébrations les plus épiques ! Ted, hier, jouait de la guitare avec ses skis,Lindsey qui se laisse tomber sur le sol, Maze dresse son doigt dans le ciel... J'ai eu comme un blanc. Je n'ai pas su comment montrer mes émotions », s’amusait-elle.

    Deux ans après son sacre à Schladming sur les terres de l’ancienne impératrice du slalom l’autrichienne Marlies Schild, aujourd’hui à la retraite, Mikaela Shiffrin confirmait, chez elle, sur la neige de son pays là où elle n’avait encore jamais connu le moindre podium. « C’est toujours aussi incroyable de gagner. C’était une course difficile et je suis contente de m’en sortir avec la médaille d’or… À la maison. En faisant la différence sur les dix dernières portes ! », jubilait la double championne du monde en titre. Invaincue en grande compétition depuis son titre à Schladming (elle est championne olympique et double tenante du petit globe de cristal du slalom, ndlr), Mikaela Shiffrin devenait, à seulement 19 ans (!) la troisième fille à réussir le doublé entre les piquets après l’allemande Christl Cranz (1937, 1938, 1939) et la croate Janica Kostelic (2003 et 2005). L’avènement de la nouvelle reine incontestée et incontestable du slalom. L’avènement d’une skieuse prodigieuse, d’une championne rare dont la danse royale entre les piquets ne fait que commencer.

    Le podium du slalom avec Shiffrin, Hansdotter (à gauche) et Strachova (à droite)

    Christopher Buet


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